En 2012, la congrégation religieuse des filles de la Sagesse a fêté le bicentenaire de son installation à la Chartreuse d'Auray sur la commune de Brec'h. Ces 200 ans d'existence sont l'occasion de mettre en lumière une institution religieuse qui s'est démarquée en axant son action sur l'intégration des malentendants.
En 1811, Gabriel Deshayes, curé d'Auray, crée et installe une institution dans les bâtiments quittés par les moines chartreux en 1791. Il souhaite accueillir et instruire les enfants sourds et muets dont le handicap n'était jusque-là pas encore pris en compte. Il met en pratique la pédagogie développée à la fin du 18e siècle par les abbés de l'Épée et Sicard.
Gabriel Deshayes confie en 1812 l'établissement de la Chartreuse à la congrégation des filles de la Sagesse. Le prospectus conservé aux Archives départementales du Morbihan décrit l'institution en ces termes : « C'est dans ce lieu qui servait autrefois à de pieux solitaires, et qu'on appelait de leur nom, la Chartreuse d'Auray, à un quart de lieue de cette charmante ville, entouré de belles promenades, que seront réunis les êtres les plus malheureux de la société. Ils y seront logés, nourris, soignés, instruits, et dans la Religion qui toujours leur eut été étrangère, et dans les arts et les métiers propres à chacun d'eux ; ils n'en sortiront qu'après avoir fait la première Communion, et avec la connaissance pratique d'un métier qui fournira à leur subsistance ».
Procurer aux infortunés le bienfait de l'instruction
À partir des années 1820, l'État encourage les conseils généraux à financer et à contrôler les établissements d'enseignement à destination des enfants sourds-muets. Le conseil général du Morbihan va ainsi verser annuellement une indemnité à l'institution pour qu'elle accueille des enfants malentendants dont les familles ont des ressources insuffisantes. En 1834, une circulaire du ministère de l'Intérieur dénombre 20 écoles adaptées sur tout le royaume en dehors des deux grandes institutions royales de Paris et Bordeaux. Par conséquent, l'école de la Chartreuse d'Auray est très sollicitée.
En effet, un rapport de 1836 indique que la bonne réputation de l'établissement s'étend sur plusieurs départements : « son utilité est reconnue et constatée : ses avantages se répandent non seulement sur la commune et celles qui l'environnent, mais encore sur plusieurs départements puisque l'établissement reçoit les enfants de toutes les contrées, soit gratuitement soit sous des conditions peu onéreuses et proportionnées à l'aisance des familles qui les proposent.» La fondation cherche à ce que « les élèves [trouvent] un moyen de subsistance en y apprenant des états tels que ceux de menuisier, tonnelier, boulanger, cordonnier, tailleur, tisserand, drapier et jardinier. Jusqu'ici on n'a pu former que très imparfaitement les ateliers nécessaires et même point du tout quelques-uns faute de ressources suffisantes pour entretenir les ouvriers destinés à montrer aux élèves. Le vaste édifice de la Chartreuse donne la facilité de réunir sans confusion et sans inconvénients les sourds-muets des deux sexes. Les garçons sont instruits par des frères de l'instruction chrétienne professeurs de la méthode de l'abbé Sicard. Les sœurs de la Sagesse instruisent les filles en suivant le même mode d'enseignement. ».
« Le cours d'étude est de sept ou huit ans. La durée des classes est de six heures par jour pendant lesquelles on enseigne aux élèves à écrire, à lire la grammaire, l'arithmétique, l'histoire et la géographie, autant qu'ils sont susceptibles suivant leur intelligence. Les filles apprennent de plus tous les ouvrages utiles et agréables à leur sexe. » À partir de 1849, l'institution dispense uniquement son enseignement aux jeunes filles handicapées.
En 1851, à la demande de l'État, le conseil général enquête sur la situation des malentendants dans le Morbihan. 298 personnes sont dénombrées dont seulement 25 sont placées dans des institutions. En 1878, la proportion d'élèves malentendants accueillis dans des établissements s'élève à 46 sur une population totale de 221 personnes malentendantes. Le conseil général du Morbihan ne va cesser tout au long du 19e siècle d'accroître les moyens alloués à ces enfants handicapés.
La Chartreuse d'Auray rend compte de ses activités à l'assemblée départementale par le biais de correspondances et de rapports. On y apprend ainsi en 1884 que les religieuses de la Chartreuse d'Auray ont révolutionné leur pédagogie à l'égard des pensionnaires, abandonnant le langage des signes pour la méthode orale. La supérieure de la Chartreuse présente aux membres de la 4e commission quelques élèves. « Messieurs, vous avez été témoins des résultats obtenus par cette nouvelle méthode, et désormais on peut dire : les muets parlent. » […] « Il y a environ 4 ans que l'établissement de la Chartreuse, sous l'impulsion d'un homme auquel je tiens à rendre hommage, M. l'abbé Bouchet, a adopté la méthode appelée orale pure. À l'aide de ce nouveau mode d'enseignement, les élèves sourdes-muettes peuvent communiquer entre elles, avec leurs maitresses, leurs parents, avec tout le monde indistinctement. » Le rapporteur de la 4e commission ajoute : « Il est même utile que vous sachiez que parmi les 80 élèves de l'établissement, les 13 du Morbihan comptent au nombre des plus intelligentes. »
Cette brève synthèse a été réalisée à partir des dossiers conservés dans la série X consacrée à l'assistance et à la prévoyance sociale. Elle est une invitation, à tous ceux et celles qui souhaitent mieux connaître le traitement réservé aux malentendants au 19e siècle, à approfondir leurs recherches.
Sources consultées
- X 1817. - Aveugles et sourds-muets. Affaires générales 1819-1882
- X 1818. - Sourds-muets. Correspondance générale, 1882-1889
- X 1819. - Sourds-muets. Correspondance générale, 1877-1894
- X 1820. - Sourds-muets. Correspondance générale, 1895-1898
- X1821. - Sourds-muets. Correspondance générale, 1887-1893
- X 1878. - Sourds-muets, aveugles. Statistiques, 1850
- V 490. - Sœurs de la Sagesse de Saint-Laurent, 1808-1902
- 9 Fi 23. - Cartes postales
- IB 319. - Bulletin officiel du ministère de l'intérieur, années 1828 et 1834