La révolution industrielle du 19e siècle se traduit dans le Morbihan par le développement de quelques grands pôles d’activité dont l’un des plus emblématiques reste les Forges d’Hennebont, créées à l’initiative d’Émile et d’Henri Trottier. C’est, au début de 1860, que les deux frères, ingénieurs des Arts et Métiers d’Angers, projettent d’installer une usine métallurgique en Bretagne. L’essor de la conserverie sur les côtes de la région a en effet entrainé une forte demande en fer blanc, production alors majoritairement importée d’Angleterre.
Le Blavet pour cadre
Pour leur future usine, Émile et Henri Trottier font l'acquisition, sur la rive droite du Blavet canalisé, de trois hectares de terrains à Kerglaw sur la commune d’Inzinzac-Lochrist. Plusieurs facteurs expliquent le choix d’un site a priori peu favorable, compris entre le Blavet et une falaise granitique :
- les deux barrages du « Goret » et du Grand Barrage » sur le Blavet fournissent une énergie hydraulique peu onéreuse ;
- les forêts voisines, notamment celle de Camors, peuvent fournir en abondance du bois et du charbon de bois ;
- la rivière canalisée et le port fluvial d'Hennebont permettent de communiquer rapidement avec le port maritime de Lorient, favorisant les approvisionnements (bois et houille de Grande-Bretagne notamment) et la commercialisation des produits ;
- enfin, il existe dans la région une main-d’œuvre rurale abondante et bon marché.
Le 30 avril 1860, les frères Trottier adressent à la préfecture une demande de concession de deux prises d’eau dans le Blavet pour l’établissement d’une double usine devant servir à « la fabrication des tôles, fers blancs, fer, fonte et tuyaux en bois et coaltar ». Les autorités se montrent très favorables au projet : dans sa délibération du 23 juillet 1861, le conseil d’arrondissement de Lorient « se félicite de voir une grande usine à fer blanc se fonder sur le Blavet à la porte d’Hennebont ». Après examen de la demande par les Ponts et Chaussées, notamment sur la question du débit utilisé, l’établissement des deux prises d’eau est autorisé officiellement par décret impérial du 28 août 1862.
À cette date, l’activité de l’usine a déjà débuté. Trois arrêtés préfectoraux - 10 août 1861, 11 mars 1862, 8 juillet 1862 - ont ainsi permis l’installation de machines et chaudières à vapeur. Et, dès 1861, la production, assurée par 250 ouvriers, s’élève à 750 tonnes de fer blanc et de tôles.
La naissance officialisée par un décret impérial
La création officielle de la forge intervient par décret impérial du 31 décembre 1864. La production de l’usine, qui compte 310 ouvriers, s’est encore accrue. Elle atteint en 1865 près de 1 225 tonnes. L’entreprise ne cesse ensuite de se développer jusqu’aux années 1930 :
- En 1869, les frères Trottier achètent l’île de Lochrist-Locastel, à 500 mètres de Kerglaw. Les ateliers des forges sont alors dispersés sur les deux sites.
- En 1882, l’usine est rachetée par la Compagnie des Cirages Français à l’origine des cités ouvrières construites à proximité.
- En 1936, l’entreprise atteint son apogée. Elle emploie près de 3000 ouvriers et produit 33 000 tonnes de tôles et 9 000 tonnes de fer-blanc.
La baisse de la demande de fer blanc, la concurrence étrangère et le coût des matériaux entraîne par la suite le déclin des Forges. Malgré un plan de modernisation dans les années 1950 et le soutien de l’État, la fermeture est ordonnée par décret ministériel le 18 mai 1966.
Les sources sur les forges du Morbihan
Les Archives départementales conservent de nombreux dossiers sur les Forges d’Hennebont. Le projet, la construction et le développement de l’entreprise sont évoqués dans les archives des Ponts et Chaussées (série S, puis série W après 1940), de la sous-préfecture de Lorient (1 Z). Les conflits sociaux qui ont émaillé l’histoire de l’entreprise sont conservés en sous-série 10 M puis série W et dans la presse locale. Cette dernière est numérisée et en ligne pour la période avant 1940, consultable en salle de lecture pour la période postérieure.
Un dossier existe également en sous-série 5 M sur l’hygiène et la salubrité de l’entreprise. Dans la sous-série 10 R, des renseignements sur la participation des Forges à l’effort de guerre, lors de la première guerre mondiale, sont livrés au gré des correspondances avec la préfecture.Par ailleurs, une dizaine de cartes postales illustrent l’extérieur mais aussi l’intérieur de l’usine. Au dos de certaines, quelques commentaires d’un garde envoyé sur le site pour protéger l’établissement lors de mouvements sociaux.
L’écomusée des forges à Inzinzac-Lochrist conserve de la documentation historique sur le site tout comme les archives municipales d’Hennebont qui détient un fonds photographique sur la fermeture des Forges en 1966.
Plus largement, quelques fonds d’origine privée conservent également des informations précieuses sur les rares établissements sidérurgiques du département. Il s’agit du 13 J, 34 J et 89 J. Ce dernier, consacré aux Forges de Salles, est très certainement, le plus documenté.
Sources exploitées :
- S 472. - Appareils à vapeur, déclarations et surveillance, 1860-1880.
- S 521. - Versement de la subdivision DDE d’Hennebont, moulins et usines des Sieurs Trottier, an V-1932.
- 3 S 123. - Usines métallurgiques des Gorêts et du Grand-Barrage ou de Kerglaw, 1860-1893.
- 1 Z 116. - Constructions métalliques et métallurgiques, serrureries, forges, usine à vapeur, 1846-1924
- RB 261. - Note historique sur les Forges d'Hennebont, 1951.
- RB 316. - Forges d'Hennebont : un peu d'histoire, 1953.