Le 27 mars 1962 constitue une date clé de la pêche industrielle française. Un des journaux de l’époque titre alors « pour la première fois, un chalutier français a pêché par l’arrière. » Il s’agit du Paris-Bretagne, navire construit aux Chantiers de la Perrière à Lorient. Jusqu’alors, le chalutage se faisait sur le côté. Cette technique va considérablement améliorer les conditions de travail des pêcheurs.
Retour sur cette innovation.
Une nouvelle technique de pêche : le chalutage par l’arrière
« Nous sommes mêmes persuadés que dans dix ans, il ne viendra pas à l’idée d’un armateur de faire construire un chalutier de type classique. »
Fin des années 1950, les Britanniques construisent un chalutier, Universal Star, qui pêche par l’arrière. Trois armateurs, Dudeffaut-Lhostellier-Rouello, sont intéressés par cette innovation. Lhostellier rapporte : « nous avons été tout de suite séduits par le côté logique de la nouvelle formule du chalutage par l’arrière. Pendant plus de deux ans, nous en avons étudié les avantages et les inconvénients avec des techniciens français et étrangers allant même jusqu’en Écosse pour assister à une démonstration à bord du prototype anglais Universal Star. Nous en sommes arrivés à la conclusion que tous les problèmes techniques qui se posaient se trouvaient résolus : le chalutier pêchant par l’arrière était bien le navire idéal de l’avenir. Nous sommes mêmes persuadés que dans dix ans, il ne viendra pas à l’idée d’un armateur de faire construire un chalutier de type classique.1 »
Les co-armateurs confient la construction de ce chalutier d’un nouveau type aux Ateliers et Chantiers de la Perrière de Lorient. Le milieu de la pêche est dans l’expectative et juge l’aventure risquée. Il faut dire que les essais qualifiés par la presse de « pittoresques et acrobatiques» menés par le Thalassa, navire de recherche de l’Institut français des pêches « n’avaient convaincu personne »2 .
La presse spécialisée présente alors le Paris-Bretagne comme « un compromis entre l’Universal Star des Écossais et le premier chalutier français par l’arrière, mais à rampe celui-là qu’est le Thalassa 3 ». Le Paris-Bretagne arbore un portique oscillant grâce à des vérins hydrauliques. L’ingénieur naval en charge du navire, Dominique Paulet raconte : « le bateau était trop petit pour accepter une rampe à l’arrière. L’architecte Guéroult s’est rapproché de la maison Mac Gregor, spécialisée dans les accessoires de navires et les grues de port. Leur cogitation a donné naissance au portique 4 ».
Une mise à l’eau en grande pompe
Samedi 21 octobre 1961, le Paris-Bretagne est mis à l’eau en présence du ministre des travaux publics entouré du préfet du Morbihan, du sous-préfet de Lorient et de nombreuses personnalités lorientaises. Le quotidien La Liberté du Morbihan en livre le récit : « Mme Dudeffaut [la marraine du bateau] réussit - ce qui n’est pas donné à toutes les marraines - de briser du premier coup la bouteille de champagne cependant que retentissait la Marseillaise exécutée par la musique des équipages de la Flotte. Puis le Paris-Bretagne commença à se laisser glisser doucement jusqu’à l’eau, dans laquelle, il entra, bien entendu par l’arrière, soucieux sans doute de voir dresser au-dessus de la mer son portique basculant Mac Gregor, objet de tant de controverses, de tant d’espérances et de tant de curiosités. Ensuite de quoi, les invités se réunirent à l’intérieur de la « cathédrale » des Chantiers de la Perrière pour entendre un certain nombre d’allocutions et de sabler une coupe de champagne.5»
Des essais en mer au printemps 1962
« Le marin-pêcheur cesse d’être un forçat, un damné de la mer. »
C’est au printemps de l’année suivante que le Paris-Bretagne effectue ses premiers essais en mer. L’événement qualifié d’historique par la presse locale attire également les caméras de la RTF «- une équipe considérable de la télévision française, onze personnes dont l’effectif du reste, s’amenuisait au fil des heures, ce qui explique probablement cette pléthore de « réservistes » embarqués 6 -».
Séduite par les essais, la presse vante les mérites du Paris-Bretagne : « Le premier chalutier chalutant par l’arrière diffère sensiblement du chalutier classique puisque la cale à poissons est située sur l’arrière ; le moteur passe à l’avant, les logements au milieu du navire et le pont de travail du poisson est reculé sur l’arrière du navire. (…) Le marin-pêcheur cesse d’être un forçat, un damné de la mer. À l’abri des intempéries et des paquets de mer, il n‘a, pour ainsi dire, qu’à laisser faire la machine, sans risques, sans inconvénients, sans désagréments 7 ».
Léon Le Rohellec, patron-pêcheur du Bono, premier capitaine du Paris-Bretagne, est moins angélique : « En position pêche, le portique était trop incliné vers l'arrière, il était impossible de manœuvrer le bateau, on dérivait dès qu'il y avait du vent. Et les balancements du cul de chalut pouvaient être dangereux. La cale était au ras du pont, l'eau s'y engouffrait et les câbles du treuil frottaient le panneau.8 » Des corrections seront apportées sur le deuxième chalutier pêche arrière, l’Anjou-Bretagne, construit dans le sillage de son aîné.
Trois ans plus tard, en 1965, un nouveau navire, Le Cézembre, sort des cales des Chantiers de La Perrière. L’ingénieur naval du Paris-Bretagne y a apporté de nouvelles modifications. Le portique est désormais droit et fixe, la passerelle est placée à l’arrière, la cale à l’avant. Cette nouvelle mouture balaie les dernières réticences et sonne la fin de la construction des chalutiers classiques.
La pêche aux sources
Avec plus de 500 kilomètres de côtes, le Morbihan possède depuis toujours une vocation maritime affirmée. Activité économique prépondérante pour le département, la pêche a façonné au fil des siècles les paysages et les vies. En 1866, le Morbihan emploie environ 8 900 marins pêcheurs naviguant sur 2 500 bateaux9.La part de la population active dans ce secteur n’a cessé de de diminuer depuis. En 2019, 5 000 marins-pêcheurs sont dénombrés en Bretagne10. Lorient reste cependant un haut lieu de la pêche française. La cité portuaire est classée première halle à marée française - en valeur - devant Le Guilvinec et Boulogne sur Mer en 2021.
Les archives publiques et privées sont le reflet de cette importante économie depuis l’Ancien Régime. Ainsi, le fonds de l’amirauté de Vannes, sous-série 9 B, consultable en ligne, renseigne sur l’économie de la pêche et ses marins. Le rapport d’enquête produit par l’inspecteur général des pêches, François Le Masson du Parc, en 1728 contient notamment des informations extrêmement précieuses sur les usages de la mer sous l’Ancien Régime11.
Pour la période allant du 19e siècle aux années 1930, la série M conserve notamment les rapports et la correspondance des préfets et sous-préfets sur la situation de la pêche et des conserveries de poisson dans le Morbihan. Le chercheur peut ainsi avoir une représentation assez précise de ce secteur économique qu’il peut compléter avec les archives de la chambre de commerce et d’industrie du Morbihan (5 ETP).
Les dossiers de la direction départementale des affaires maritimes et des quartiers maritimes et de (101 W, 1446 W, 1741 W, 1742 W, 1923 W, 2078 W, 2269 W) prennent le relais pour la période postérieure à 1940. Les documents conservés retracent l’action des pouvoirs publics dans le domaine de la pêche et renseignent sur l’activité des armateurs et des marins-pêcheurs, notamment lors des crises récurrentes qui ont émaillé les décennies 1960 à 1990.
Les archives départementales du Morbihan conservent également deux fonds d’archives d’origine privée qui apportent un angle de vue complémentaire aux fonds d’archives publiques. Il s’agit des archives d’entreprise de la Société des nouvelles pêcheries de la Perrière, fonds conservé sous la cote 79 J. L’on peut ainsi retracer le quotidien d’un armateur de pêche des années 1930 aux années 1980. Les archives de l’entreprise « Perchet et Dhelemmes », conservées sous la cote 77 J, complètent le fonds précédent. Créée dans les années 1920, cette société était spécialisée dans le négoce des produits de la mer.
Les fonds communaux des communes littorales, conservées en sous séries 3 Es, renseignent également sur le quotidien des populations vivant des ressources maritimes. Enfin, les archives du Morbihan conservent une iconographie très riche sur le littoral morbihannais et ses populations. Il s’agit principalement de cartes postales conservées en sous-série 9 Fi mais aussi de plaques de verre (fonds Walker, 73 Fi, fonds Géniaux, 71 Fi). L’hebdomadaire, Le Marin, est également consultable en salle de lecture. Les archives en possèdent une collection (Jo 338) débutée dans les années 1950.
Sources utilisées
JO 228. - La Liberté du Morbihan, octobre 1961 et mars 1962.
JO 238. - Ouest-France, octobre 2019 et mars 2012
14 W 2032. - Sous-préfecture de Lorient, voyages ministériels, 1948-1965.
5 ETP 433. - Chambre de commerce et d’industrie du Morbihan, biennales internationales de la pêche, 1962, 1964.
5 ETP 500. - Chambre de commerce et d’industrie du Morbihan, monographies des entreprises du Morbihan, 1960-1962
5 ETP 594. - Chambre de commerce et d’industrie du Morbihan, pêches maritimes, équipement et matériel, 1920-1961.
Notes de l'auteur
- La Liberté du Morbihan, 24 octobre 1961. Jo 230
- La liberté du Morbihan, 29 mars 1962. Jo 230
- Article de l’Usine nouvelle, 22 sept 1960. 5 ETP 594
- Ouest-France, 22 octobre 2006. Jo 228
- La Liberté du Morbihan, 24 octobre 1961. Jo 230
- La Liberté du Morbihan, 29 mars 1962. Jo 230
- La Liberté du Morbihan, 29 mars 1962. Jo 230
- Ouest-France, 27 mars 2012. Jo 238
- Exposition Pêcheurs d’hier des archives départementales du Morbihan, 2007.
- Ouest-France, 16 octobre 2019. Jo 238
- Archives de l’amirauté de Vannes, 9 B 257